Appropriation culturelle : Où tracer la ligne entre inspiration et appropriation ?

La frontière entre inspiration et appropriation culturelle peut-être flou et susciter le débat. Je me suis donc demandée, à quel moment l’emprunt d’éléments culturels devient-il une forme d’appropriation ?

1. L’appropriation culturelle c’est quoi ?

« L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination. »  Éric Fassin, sociologue.

1.1 Définition de l’appropriation culturelle

L’appropriation culturelle c’est quand une personne ou groupe issu de la culture dominante* adopte des éléments culturels d’une culture minorisée, généralement sans reconnaissance ni compensation.

L’appropriation culturelle c’est donc quand on prend quelque chose (matériel ou immatériel) à la culture dominée, sans véritable intérêt pour cette culture, ni considération pour son histoire. Cette appropriation devient particulièrement problématique lorsque ces éléments (matériels ou non) sont monétisés par celles et ceux qui se les approprient. On parle aussi de « pillage culturel ».

*La culture dominante : Culture qui a une très grande influence et qui est souvent intrusive sur les autres cultures. Elle mène souvent à la transformation ou à l’oppression des cultures minoritaires. Pour en savoir plus cliquez ici.

1.2 L’origine de l’appropriation culturelle

Le concept d’appropriation culturelle apparaît aux États-Unis dans les années 1990, à un moment où les questions coloniales et la place des cultures minorisées posent enfin questions. Mais ce sont surtout les nombreuses polémiques dans les milieux artistiques et dans le milieu de la mode qui vont propulser ce concept dans les médias.

1.3 Ce qui n’est pas de l’appropriation culturelle

Attention : tout n’est pas appropriation culturelle. Découvrir la cuisine d’un autre pays, écouter sa musique, s’intéresser à sa culture ou apprendre sa langue ne relèvent PAS de l’appropriation culturelle.

Les échanges culturels existent depuis toujours et offrent à chacun·e la possibilité de s’enrichir mutuellement. En revanche, l’appropriation culturelle profite uniquement aux personnes issues de la culture dominante, au détriment des personnes issues de cultures minoritaires.

2. Des exemples d’appropriation culturelle

L’appropriation culturelle peut se manifester dans différents domaines : esthétique (mode, tatouage, coiffure), musique, cinéma, pratiques spirituelles, etc. Ici on on va se pencher sur quelques exemples seulement, pour mieux comprendre ce qu’est l’appropriation culturelle.

2.1 La mode : quand les cultures minorisées sont juste consommées

Pour les membres d’une culture minorisée, il peut sembler injuste que des personnes issues de la culture dominante adoptent et profitent de leurs symboles culturels. En effet, les cultures minorisées font fréquemment l’objet de stigmatisation et de préjugés. Leurs traditions, vêtements, coiffures ou pratiques sont parfois dévalorisés, ou même interdites dans certains contextes. Pourtant, lorsque ces mêmes éléments sont repris par des personnes issues de la culture dominante, ils sont souvent célébrés, commercialisés et perçus comme « tendance » ou « exotiques ».

C’est arrivé un certain nombre de fois que de grandes marques de mode s’approprient les motifs traditionnels d’une culture minorisée sans la mentionner ni la mettre en valeur. Par exemple, en 2012, Victoria’s Secret (marque de sous-vêtement) fait défiler une mannequin portant une coiffe amérindienne. La marque s’est clairement appropriée un symbole culturel des peuples autochtones, en dénaturant complètement son usage originel. Ces coiffes sont d’une grande importance spirituelle et politique dans les communautés amérindiennes (peuples massivement persécutés et tués par les colons). Ici il s’agit bien d’appropriation et non d’inspiration.

Mais n’y a pas que les grand·es créateur·ices de mode qui font de l’appropriation culturelle en adoptant des éléments traditionnels. En festivals par exemple, c’est assez commun de voir des personnes occidentales habillées avec des coiffes amérindiennes, des chapeaux de cow-boy, ou encore avec un bindi*. Ces choix purement esthétiques peuvent être mal perçus par les personnes de communautés minorisées qui portent ces codes culturels et traditionnels. Par exemple, au festival Coachella, où de nombreux festivalier·ères optent pour des vêtements de style hippie ou des déguisements, le bindi n’a pas fait l’unanimité et a été critiqué pour appropriation culturelle. Selon cet article, « des internautes originaires d’Inde et du sud-est asiatique lancent la campagne #reclaimthebindi dénonçant l’appropriation d’un élément culturel pour lequel elles sont stigmatisées dans leur quotidien. »

*Bindi : point coloré apposé au milieu du front, porté par les femmes issues des communautés religieuses, hindous et bouddhistes.

2.2 Le yoga : quête spirituelle détournée par le capitalisme ?

M’intéressant au yoga depuis un certain temps, je me suis demandée dans quelle mesure cette pratique relevait l’appropriation culturelle. En approfondissant le sujet, j’ai découvert un article passionnant publié par Agir par la Culture, qui propose un entretien avec Zineb Fahsi, enseignante de yoga et autrice du livre Le yoga, nouvel esprit du capitalisme. Dans cette interview, l’autrice explique comment le yoga a évolué au fil des époques et la façon dont il s’est transformé, pour finalement devenir un outil au service du capitalisme en Occident.

En effet, en Occident, beaucoup d’entreprises intègrent le yoga et d’autres pratiques de bien-être comme levier de performance. L’objectif est d’améliorer la santé des salarié·es afin d’optimiser la performance et la rentabilité de l’entreprise. Dans ce cas-ci, le yoga est un outil au service de la productivité. Par exemple, dans ses entrepôt, Amazon met à disposition des employé·es des cabines baptisées « Amazen », où il possible de visionner des vidéos pour méditer et s’étirer. Malheureusement, dans le milieu de l’entreprise, le yoga et la méditation sont très souvent réduits à de simples outils au service du capitalisme.

plusieurs femmes faisant du yoga sur une terrasse dehors

Même dans les milieux alternatifs, où la critique de la société capitaliste productiviste est souvent répandue, le yoga est parfois réduit à un simple outil de développement personnel. La pratique devient alors une démarche très individualiste, centrée sur le bien-être, la quête d’épanouissement et l’équilibre intérieur, sans réelle considération pour l’essence même du yoga, ses origines et sa dimension spirituelle. Les mantras peuvent être chantés sans en comprendre le sens, dans l’unique but de trouver la paix et la tranquillité. Dans le podcast Very bad yoga : posture ou imposture très intéressant, Marie Kock, journaliste, enseignante de yoga et autrice, explique que beaucoup de professeur·es de yoga ne savent elleux-même pas grand-chose quant à l’histoire du yoga, du sens des mantras qu’ils ou elles chantent et des statuts hindouistes qui décorent leur salle de yoga.

Mais est-ce « mal » de vouloir pratiquer le yoga pour son propre bien-être ? L’idée n’est pas de se sentir coupable de pratiquer le yoga en tant que personne occidentale, mais plutôt de réfléchir à sa pratique et à ses intentions. C’est tout à fait possible même en Occident, de pratiquer le yoga dans une démarche d’apprentissage, avec l’intention de respecter ses origines et ses philosophies.

Pour ne pas se sentir dans une position d’imposture en tant que professeure de yoga, ou en tant que pratiquant·e, Marie Kock propose d’adopter un esprit critique envers le yoga. Dans le podcast d’Arte radio elle dit « Personnellement, en sachant ce que je pratique, comment je pratique et pourquoi, il y a le sentiment d’imposture qui a disparu parce que je ne fais pas semblant de m’inscrire dans une grande lignée de gourou. En tant que professeure, dire par exemple : « aujourd’hui on va faire un court de yoga moderne peut aider ». Moi je ne dis pas « Namaste », en cours. Je dis « bonjour » et « merci ». » Selon la journaliste et professeure de yoga, il est surtout important de ne pas prétendre pratiquer un yoga ancestral. En effet, prétendre ou laisser supposer que l’on pratique un yoga ancestral n’aurait pas vraiment de sens puisque le yoga a beaucoup évolué depuis ses débuts ( début du yoga : en Inde au 3e siècle avant notre ère). Même en Inde aujourd’hui, il ne s’agit plus (pour la majorité des pratiquant·es) d’échapper au cycle des renaissances comme c’était le cas au départ. Le yoga évolue au fil du temps que ce soit en Inde et ailleurs dans le monde et c’est bien normal.

Pour ne pas tomber dans l’appropriation culturelle, il s’agit surtout d‘être honnête avec soi-même concernant le yoga que l’on pratique (et que l’on enseigne), assumer que l’on ne connait pas tout et qu’on ne comprend pas tout.

3. Comment éviter l’appropriation culturelle ?

Premièrement, il est important de comprendre la distinction entre inspiration culturelle et appropriation culturelle. L’inspiration culturelle consiste à s’intéresser, apprécier et apprendre d’une culture tout en respectant son histoire et en veillant à ne pas nuire à une personne ou à une communauté. En revanche, l’appropriation culturelle se caractérise par un emprunt déplacé ou irrespectueux d’éléments issus d’une culture minorisée.

Pour éviter l’appropriation culturelle, il est important de ne pas caricaturer une culture ni de la réduire à des stéréotypes et des idées préconçues. Concernant les objets matériels, mieux vaut privilégier l’achat auprès des artisan·es des communautés concernées plutôt que de se tourner vers les grandes marques.

De manière générale, il est toujours pertinent de se questionner et de réfléchir à l’impact de nos choix : pourraient-ils nuire à quelqu’un·e ou être déplacés ?

 Pour approfondir le sujet 👇🏼

Le Yoga c’est de droite ? – Arte radio

Comprendre davantage l’appropriation culturelle ici – Naya Ali

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